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ثانوية محمد ديب تيارت
  INTERVIEW DE MOHAMED DIB PAR ZAOUI AHMED
L'écrivain répugnait à s'exhiber. Il parlait donc peu en public et recevait rarement la presse. Il explique pudiquement la chose par l'âge et les ennuis de santé. Aussi, cette interview donnée à Mohamed Zaoui, dans le cadre du livre Algérie, des voix dans la tourmente (éditions Le Temps des cerises, 1998), la dernière sans doute qu'il ait donnée à un journaliste, recèle-t-elle quelque valeur secrète. On y découvre un Mohammed Dib dépouillé des préjugés qui accompagnent les personnages énigmatiques, un homme amoureux, amoureux de tout, un homme qui a banalisé l'exil et la mort, qui réfléchit pour écrire parce que, rappelle-t-il, " l'approfondissement de la réflexion est devenue une nécessité ". On apprend alors que l'âge et l'exil n'ont pas transformé sa plume, depuis la trilogie, depuis L'Incendie et La Grande Maison. Ils ont juste favorisé une certaine liberté " vis-à-vis d'une forme d'écriture dite réaliste ", c'est-à-dire celle qui décrit le pays et le peuple d'une façon externe, ils ont juste accéléré une évolution " vers une forme d'écriture nouvelle, vers des sujets nouveaux qui ne m'ont pas fait perdre la réalité extérieure ", c'est-à-dire de " montrer l'intérieur ". Ce Dib a vieilli à notre insu dans une représentation intime de son pays et cette intimité-là, pourquoi le cacher, il nous reste une vie pour s'en imprégner. Pour comprendre comment l'écrivain a continué à vivre les pulsations de son peuple sans le côtoyer. Comme seuls savent le faire les poètes.

Mohamed Zaoui : Dans votre dernier roman, L'Infante maure, il est question d'un couple mixte

Mohammed Dib : Entendons-nous bien, les personnages essentiels ne sont pas ceux du couple mixte, même si ce dernier existe en arrière-plan.

Que vouliez-vous mettre exactement en relief à travers l'histoire d'une rencontre entre un homme du Sud et une femme du Nord, d'une part, et l'histoire de leur enfant, d'autre part ?

Le mode d'emploi d'un livre se trouve dans le produit lui-même, ainsi que toutes ses explications Là, il s'agit d'un roman. On ne peut pas donner d'explications didactiques, celles-ci y sont suggérées et le lecteur devrait avoir à cœur de trouver seul ces explications. Cela fait partie des plaisirs de la lecture. Un livre ne s'écrit pas comme une démonstration mathématique : on pose un problème et on essaie de le résoudre. Il vient comme une sorte d'inspiration, et à ce moment-là, le livre s'invente au fur et à mesure qu'il s'écrit.
L'auteur ne sait pas forcément ce qui va se produire, donc ce qu'il va lui-même dire. Il est vrai que toute œuvre littéraire, une fois achevée, a un sens, mais ce sens n'est pas forcément prévu au départ.
Un écrivain se découvre, et découvre son œuvre en écrivant.

L'Infante maure, c'est tout de même un titre qui suggère tant de choses.

Ce que j'ai voulu montrer, c'est tout simplement un enfant. Comment il vit, comment il voit le monde et comment il réagit. Il m'importe peu que cet enfant soit celui d'un couple mixte ou qu'il vive dans un pays ou dans un autre. C'est d'abord l'enfant qui m'intéresse. Aujourd'hui, les voyages et les échanges se sont multipliés et font que les gens se rapprochent de plus en plus. Il y a des gens qui voyagent énormément, qui se rencontrent, qui se plaisent et parfois s'épousent. Il y a de plus en plus d'enfants dont l'un des parents appartient à un pays différent, à une langue différente et à une culture différente de l'autre. Je dirais même que le monde va de plus en plus dans ce sens, et l'idéal serait que le monde entier ne soit constitué que d'enfants issus de couples qui appartiennent à des cultures différentes. Dans mon livre, nous nous retrouvons d'une manière plus précise devant un couple dont l'homme est censé être un Maghrébin. Il peut-être algérien, marocain ou tunisien. La femme vient d'un pays nordique. Cela pourrait être la Suède, la Norvège ou la Finlande. Un enfant naît de cette union. Les enfants qui sont riches de deux cultures sont également riches d'un imaginaire et même de deux imaginaires qui se confondent. Un imaginaire qui fait leur marque essentielle, qui fait leur identité.
C'est pour cela aussi qu'un enfant issu d'un mariage mixte - le mot " mixte " ne me plaît pas beaucoup - est un enfant qui a un monde de rêve beaucoup plus grand, beaucoup plus étendu que celui qui a pour origine un seul pays, une seule culture, qui se trouve bien enracinée, bien ancrée quelque part. L'enfant a un espace pour son imagination, il est un peu le roi de son domaine imaginaire. Une fille est en quelque sorte la reine, d'où " l'infante ".

Justement, pourquoi " l'infante " ?

Il faut préciser que le mot infante a une connotation spéciale, puisqu'il s'agit des enfants des rois d'Espagne. Une infante maure suggère aussi tous ces liens du passé avec la culture d'une autre époque

  ECRITS SUR MOHAMMED DIB
Depuis bientôt cinquante ans, Mohammed Dib pose un regard attentif et généreux sur le monde et ce qui l’entoure. Certes l’Algérie, sa terre natale, demeure au coeur de ses préoccupations mais il ne cesse d’emprunter des chemins de traverse afin de conduire sa réflexion sur la nature humaine en ce qu’elle a de plus universel.
Depuis la trilogie pionnière (" La Grande maison ", " Le Métier à tisser ", " L’Incendie "), jusqu’à " L’Arbre à dires " en 1998, en passant par les étapes scandinaves (" Les Terrasses d’Orso ", " Le Sommeil d’Eve ", " Neige de marbre ") et en ne cessant de ponctuer l’oeuvre de jalons poétiques, l’écrivain algérien a bâti une oeuvre majeure, tout à la fois exigeante et accessible. Il publie un nouveau livre, " Comme un bruit d’abeilles " (Albin Michel), recueil composite de textes divers, nouvelles et contes mêlés, tous liés les uns aux autres par un récit, lui-même scindé en quatre parties, intitulé " Le Sourire de l’icône ".
Situations foisonnantes
Si le mot "roman" figure bien sur la couverture de ce dernier livre de Mohammed Dib, le contenu ne paraît pas en immédiate adéquation avec l’idée attendue que l’on se fait de ce genre littéraire. Avec " Comme un bruit d’abeilles ", l’écrivain algérien nous emporte, en effet, en des lieux et des situations divers, dans un entrelacs complexe, foisonnant et multiple. Ainsi, lorsqu’il nous conte la disparition d’un journaliste, parti pour Prague et emporté dans une étrange histoire de clonage humain... on croirait lire une nouvelle de Kafka à l’heure des manipulations génétiques.
Ailleurs, Dib établit dans Tlemcen une confrontation des générations, entre deux craintes, entre les regrets et les remords, entre les doutes et les incertitudes. Cette fois, c’est à Diderot que l’on pense, entre fatalité et dialogue... Plus loin, il nous invite à l’étrange confrontation d’un avocat et d’une femme "nue sans un haïk qui la drape", dans la folie de l’attente de son fils tué dans un attentat. Ou bien encore, il nous conte la revanche meurtrière d’une jeune femme violentée qui se venge de son bourreau, assassin et tortionnaire. Ou l’étonnant dialogue d’une bande de gamins, "ninjas d’une banlieue merdique", auteurs d’une razzia dans un supermarché, avec un "prophète-béquillard", devenu pour l’occasion animateur-philosophe social...
Goût des mots rares
Autour de ces rencontres, ancrées dans le tumulte du quotidien, Dib entrelace la destinée de Rassek et Nina, deux êtres perdus dans les bouleversements d’une histoire qui confine au mythe, comme pour mieux prendre distance avec les contingences d’une actualité meurtrie. " Comme un bruit d’abeilles ", ainsi constitué d’éléments épars, trouve son unité (romanesque ?) dans la même volonté de rétablir l’échange et le dialogue, seules armes pour vaincre l’absurde et la déraison des hommes.
  Principaux ouvrages
• La Grande Maison, roman, Le Seuil, 1952 et Points Seuil. Prix Fénéon,1953.
• L'Incendie, roman, Le Seuil, 1954 et Points Seuil.
• Au café, nouvelles, Gallimard, 1955; Sindbad, 1984.
• Le Métier à tisser , roman, Le Seuil, 1957 et Points Seuil.
• Baba Fekrane, contes pour enfants, La Farandole, 1959.
• Ombre gardienne, poèmes, Gallimard, 1960; Sindbad, 1981; La Différence, 2003.
• Qui se souvient de la mer, roman, Le Seuil, 1962, Points Seuil, Paris, La Différence, coll. "Minos", 2007.
• La Danse du roi, roman, Le Seuil, 1968.
• Dieu en barbarie, roman, Le Seuil, 1970.
• Formulaires, poèmes, Le Seuil, 1970.
• Le Maître de chasse, roman, Le Seuil, 1973 et Points Seuil.
• Le Chat qui boude, contes pour enfants, La Farandole, 1974 et Albin Michel, 2004.
• Omneros, poèmes, Le Seuil,1975.
• Habel, roman, Le Seuil, 1977.
• Feu beau feu, poèmes, Le Seuil, 1979.
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